C'était plus facile avant, hein. Quand tu n'étais que médecin, quand tu n'avais qu'à te préoccuper des patients, de leur douleur et de leur détresse, quand tu n'avais finalement que ton métier, à faire, celui pour lequel tu avais souffert tant d'années d'études. Avant, tu n'avais qu'à soigner. Aujourd'hui, si tu le fais toujours évidemment, tu te retrouves à devoir gérer en plus du reste. Le matériel. Le personnel. Les allers et venues. Les réclamations. Tout passe systématiquement par toi, et il y a des jours comme ça où malheureusement tu te retrouves dans l'obligation de t'arrêter d'être médecin, juste pour gérer … et pour corriger les erreurs, rétablir les choses. Tu n'es pas là depuis une heure que c'est déjà la course aux urgences, tu pourrais même te maudire d'être rentrer chez toi pour dormir, parce qu'il y a bien des nuits de sommeil que tu passes dans cet hôpital, allongé dans un lit libre, rangé dans la réserve. Et puisqu'on parle de la fameuse réserve, c'est elle qui pose des soucis, tiens.

Dans ton service, vous avez besoin de matériel, ce n'est pas négociable puisqu'évidemment, c'est par les urgences que passent le plus de patients avant d'être potentiellement orientés ailleurs selon leur problème. Votre réserve est normalement approvisionnée toutes les semaines, en matériel courant - bandages, outils, pansements, etc - mais aussi en médicaments. La livraison était ce matin, justement, et si vous avez bien reçu votre matériel, force est de constater que les médicaments - dont les anti douleurs - manquent à l'appel. Les dernières doses s'écoulent à la vitesse de la lumière et tu as eu beau décrocher ton téléphone cinq fois en une heure, rien n'y fait, personne n'est capable de te répondre, de te dire où ont bien pu passer les médicaments réservés aux urgences.

C'est un peu à bout de ta patience que finalement, tu as attrapé ton téléphone, prévenu que tu montais et que tu as choppé l'ascenseur pour te rendre directement à la pharmacie centrale, au second étage de l'hôpital. Le gestionnaire de l'endroit ne réponds pas depuis ce matin, aucune personne n'a eu l'idée d'aller voir pourquoi alors tu fonces droit vers l'endroit où sont stockés tous les médicaments avant d'être distribués, esquivant quelques infirmières dans le couloir, tu pousses la porte de la pharmacie d'un coup sec … et c'est là que tu sens la résistance, comme si la porte avait pousser quelque chose ou en l'occurrence … quelqu'un.

C'est une jeune infirmière que tu trouves par terre, près du bureau. « Oh, non, toutes mes excuses, est-ce que tout va bien ? » Tu te précipites pour lui tendre une main secourable, la détaillant par habitude pour savoir si tu ne l'as pas blessée à cause de cette brutalité si inhabituelle chez toi. « Veuillez m'excuser, je suis pressé, je n'ai même pas pris le temps de frapper à la porte. » Tes yeux bleus sur elle, toujours, tu songes que tu ne l'as jamais vue. Elle est jeune, probablement nouvelle, alors ? « Je cherchais Ted. C'est le pharmacien, qui travaille ici, normalement. » Et qui, de toute évidence, n'est pas là. « Vous cherchiez quelque chose ? » Comme toi, hein, en l'absence de Ted, tout le monde est perdu, visiblement.

La lumière n'a même pas été allumée, alors que tu t'excuses, et que tu regardes autour de toi, c'est quelque chose qui finit par te sauter aux yeux, et qui te fais finalement soupirer. Ted n'est pas là. Il n'a pas l'air d'être venu travailler aujourd'hui, sinon, la lumière serait allumée, - c'est qu'il n'y voit pas grand-chose, le pharmacien - et surtout, l'odeur de café habituelle aurait déjà embaumé toute la pièce. Peut-être qu'il est malade, tu n'en sais rien, mais du coup, ça explique pourquoi les livraisons n'ont pas été distribuées correctement. En tout cas, tu viens attraper l'ordonnance pour y lire le nom du médicament qui y est inscrit et immédiatement, tu te mets en mouvement pour aller attraper un jeu de clés dans l'un des tiroirs du bureau. Tu avances ensuite vers le fond de la pièce pour venir ouvrir une armoire en métal d'un coup de clé. « C'est assez puissant, alors c'est sous clé … sinon, ça aurait tôt fait de se retrouver dans la rue pour junkies. » Tu lui déposes une boîte du médicament dans la main, refermant l'armoire avec soin et gardant les clés entre tes doigts.

« Aux urgences oui. » Tu tapotes la plaquette accrochée à ta blouse mentionnant un "DR SUTHERLAND" suivi d'un "service des urgences" tout en lui offrant un sourire. « Revan, et je ne compte plus les années que j'ai passé à bosser par ici. » Autrement dit, tu connais cet hôpital comme ta poche, ou presque. Du coup, tu te mets à fouiller dans la pièce pour tenter de mettre la main sur les médicaments que vous n'avez pas reçus. « Vous bossez dans quel service ? » Tu soulèves des caisses, observe les étagères et puis, finalement, tu t'arrêtes en soupirant. Il n'y a rien. Soit la livraison n'est même pas arrivée, soit un autre service s'est donné le droit de récupérer ce qui était destiné aux urgences et tu dois bien avouer que ça te contrarie beaucoup. « Une fois par semaine, comme les livraisons de la ville. Cependant comme vous pouvez le constater, c'est la croix et la bannière pour faire en sorte que tout arrive à bon port et en bon état … » Tu ne comptes plus les fois où les boîtes que vous recevez ont été ouvertes et pillées, où il y a des manques, ou des choses qui ont été abîmées, et qui en deviennent inutilisables. « On s'assure d'avoir toujours du stock mais parfois, certaines choses viennent à manquer … les anxiolytiques, par exemple. » Pas compliqué de savoir où ça disparait, et c'est bien pour ça que maintenant, une partie est mise sous clé. Seulement, comme on aura pu le constater, il n'est pas bien difficile quand on connaît l'hôpital de savoir où se trouve les clés, tu n'as aucun doute sur le fait que certains n'hésitent donc pas à se servir. « Tenez, visiblement, la livraison d'aujourd'hui n'est même pas ici … » Tu passes une main dans tes cheveux, réellement embêté par cette situation, d'autant que ça commence à devenir critique en bas. « Je n'ai pas le temps d'attendre demain, et impossible de vérifier où se trouve la livraison sans le mot de passe de Ted. » Tu expliques, en désignant l'ordinateur portable sur le bureau, éteint, et sûrement verrouillé.